LE QUOTIDIEN


Banques: les cadres ne font plus crédit à la direction
Ils critiquent la dégradation du dialogue social.

Par DAVID GARCIA

Le mercredi 27 octobre 1999






«Il sera désormais possible de licencier pour des raisons telles que la perte de confiance et la maladie.»
Violette Gomez, déléguée CGT

 

ÇEn tant que femme, je suis choquée par la suppression du congé de maternité de six mois sans solde. La direction veut clairement revenir sur des avantages sociaux négociés après guerre.» Ces mots ne sont pas ceux d'un syndicaliste bouffeur de patrons. Ils appartiennent à Sylviane, 49 ans, cadre non syndiquée à la BNP. Dans l'entreprise depuis vingt-cinq ans, elle regrette la «dégradation du dialogue social» marqué, selon elle, par la dénonciation «brutale», en février 1998, de la convention collective par l'Association française de banques (AFB).

Charge. Le patronat a en effet réussi l'exploit de fédérer un front syndical désuni par la négociation sur la réduction du temps de travail. Jusqu'à l'annulation fin septembre de l'accord de branche sur les 35 heures par le tribunal de grande instance de Paris ; le SNB-CGC, favorable au texte, faisait cavalier seul.

Depuis, le syndicat de cadres n'est plus aussi chaud pour s'entendre avec l'AFB et s'est rapproché de manière spectaculaire de l'intersyndicale (CFDT, CFTC, CGT et FO). Au point de cosigner un document charge intitulé Projet AFB : la cohérence du vide.

L'enjeu est de taille. Si aucun accord sur une nouvelle convention collective n'intervient entre les partenaires sociaux avant le 31 décembre, les 200000 salariés du secteur bancaire se retrouveront sans autre protection collective que le simple code du travail. Autant dire qu'ils ont beaucoup à perdre. D'où un début de mobilisation depuis le 26 octobre, qui devrait monter en puissance à mesure que se rapprochera l'échéance. Au programme : distribution de tracts à la clientèle devant les agences, pose d'autocollants sur les distributeurs d'argent et débrayages inopinés pendant les heures de pointe. Les syndicats ont même menacé, en dernier recours, de perturber le passage à l'an 2000.

A la BNP, l'euphorie consécutive au raid réussi sur Paribas aura été de courte durée. Paroles d'employés «de base» d'agences parisiennes.

Soupçons. Clothilde, 42 ans, déléguée CFDT, a vingt ans de boîte derrière elle. Cette commerciale qui s'occupe des professionnels ne se fait plus guère d'illusions. «On a longtemps pu se considérer à l'abri des licenciements : c'est bel et bien fini.» La création d'une clause de licenciement pour «motif personnel non disciplinaire» fait particulièrement grincer les dents des salariés. «C'est la porte ouverte à l'arbitraire, s'indigne Violette Gomez, déléguée CGT. Il serait désormais possible de licencier pour des raisons telles que la perte de confiance et la maladie.» Surtout, certains soupçonnent leurs dirigeants, par ce biais, de faire des notions d'«objectif» et de «mission» l'alpha et l'omega des relations employeurs-employés. En clair : sous couvert de rentabilité, «on pourrait se débarrasser de vous quel que soit votre âge», s'inquiète Frédérique, une commerciale qui a vingt ans d'ancienneté maison. Exemple. «Un commercial tenu de placer 30 crédits pour tant de KF est déjà obligé de travailler le soir et le week-end. En cas de refus d'heures supplémentaires, avec la nouvelle convention, il risquerait sa place.»

Paradoxalement, cette logique du «tout-profit» pourrait à terme se retourner contre ses promoteurs. «On estime que les cadres commerciaux peuvent assurer de plus en plus de travaux par transaction informatique, affirme Sylviane. Au détriment du personnel administratif, dont on réduit sensiblement les effectifs. A terme, cette situation se répercutera forcément sur la qualité du service au client, censée pourtant être notre priorité.»

Nécessité. Autre sérieux point d'achoppement : la suppression du point bancaire, système qui fixait les salaires au niveau de la branche et non des entreprises elles-mêmes. Les augmentations de salaire seraient désormais individuelles. Traduction par Henri, délégué CGT : «A la tête du client.»

Les salariés ne voient pas pour autant tout en noir. Nicolas, 55 ans, trente-huit ans d'ancienneté, cadre SNBP-CGC, assure que «le nettoyage de la convention collective est une nécessité. La suppression des jours de congé pour baptême ou la disparition de la prime automatique d'ancienneté ne me gênent pas». Idem pour les points de diplôme : «Qu'on fasse la part des bagages vraiment utiles», demande-t-il. Sur ce point, qui ne concerne que les jeunes embauchés, ses collègues non cadres ne sont pas exactement sur la même longueur d'onde. Clothilde : «Si j'étais recrutée aujourd'hui, malgré mon diplôme d'anglais, je gagnerais 600 francs de moins.» Et Frédérique de renchérir : «L'avenir des jeunes cadres est pire que le nôtre.» l



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