Banques: les patrons veulent dicter leur loi
L'Association française des banques vient de dénoncer la convention collective. Les syndicats sont scandalisés.

Le 4 février 1998


Les 35 heures légales facteur d'explosion sociale, on y vient... par le petit bout de la lorgnette. Hier, alors que l'hémicycle se préparait à une nouvelle empoignade, l'Association française des banques (AFB), porte-voix des patrons du secteur, passait à l'acte et dénonçait la convention collective qui régit l'organisation sociale de la branche. A l'en croire, il ne s'agit pas là d'une «manoeuvre politique», mais seulement une réaction au «blocage» des syndicats, coupables de s'opposer à toute «modernisation d'une convention vieille de cinquante ans dont tous les partenaires reconnaissent le caractère obsolète». Souvenir, souvenir: c'est une semaine après l'altercation entre l'ex-président du CNPF, Jean Gandois, et l'actuel ministre du Travail, Martine Aubry, que l'AFB avait lancé son premier ultimatum aux syndicats.

Ceux-là sont aujourd'hui suffoqués. Cette dénonciation, ils la redoutaient sans vraiment y croire. Le gouvernement Jospin était derrière eux, les patrons n'oseraient pas. Ils ont osé. Le ministre de l'Economie, Dominique Strauss-Kahn, s'est fendu d'un communiqué contrit: il «prend acte» de la décision de l'AFB, la «regrette», et appelle les deux partis à négocier une nouvelle convention collective, plus «moderne». La messe est dite à demi-mots. Officieusement, Bercy ne s'embarrasse pas de circonvolution: «Nous déplorons la méthode de l'AFB. Nous mettrons la pression pour que le dialogue permette la mise en place d'un nouvel accord. Mais l'ancienne convention doit évoluer.» Ni Dominique Strauss-Kahn ni Martine Aubry n'ont d'ailleurs répondu à la lettre que les syndicats leur avaient fait parvenir il y a dix jours.

Bercy se veut cohérent. Son credo est simple: les 35 heures légales créeront des emplois si elles s'accompagnent «d'une progression maîtrisée des salaires», comprendre un quasi-gel du pouvoir d'achat. Une condition incompatible avec la convention collective des banques qui prévoit des revalorisations mécaniques des salaires au niveau de la branche chaque année (via le point bancaire ou les primes d'ancienneté). C'est le sublime de l'histoire: l'AFB s'inscrit tout net dans la logique gouvernementale. Du moment qu'on supprime les automatismes salariaux sur la branche, elle sera conciliante sur le reste. Bref, circulez, il n'y a rien à voir.

Ce week-end, les patrons de banques se sont pourtant écharpés: si tous condamnaient la loi en discussion, certains ne voulaient pas d'une dénonciation immédiate de la convention. Question de sensibilité: personne ne doutait de la portée politique de l'annonce. Mais, à l'AFB, majorité fait loi, et la virulence de certains proches de l'opposition (les émissaires de Daniel Bouton, PDG de la Société générale et ancien collaborateur d'Alain Juppé, ou de Michel Pébereau, PDG de la BNP, ancien directeur de cabinet de René Monory) ont emporté sa décision.

Bercy s'en accommode, qui pense large et loin: les banques françaises ne peuvent rester plus longtemps à l'écart des grandes manoeuvres en cours dans la finance européenne. Il faut faire sauter le carcan social contraignant qui les a, jusqu'à présent, empêché de s'allier, de fusionner, de grandir. S'y opposer serait les livrer à la convoitise de leurs concurrents étrangers aussi riches que déterminés.

Alors, on préfère passer sous silence les possibles (probables) effets pervers. La décision de l'AFB risque d'ouvrir un boulevard aux patrons en général. Si les 35 heures légales sont la contrepartie non négociée d'un frein à la hausse des salaires, pourquoi ne seraient-elles pas une contrepartie de l'annualisation obligée? De la flexibilité à outrance?... Caricatural, mais d'aucuns y songent déjà. De quoi donner des frissons aux salariés du BTP, du commerce, de l'hôtellerie... moins bien lotis que leurs homologues de la banque.

Chacun sa chapelle. Et les syndicats de banques comptent défendre là leur pied à pied. «Sabotage», «politique du pire», «casus belli», ont-ils, hier, hurlé en apprenant la décision de l'AFB. L'entourloupe est sévère: si un nouvel accord n'est pas trouvé dans les deux ans, c'est le code du travail qui s'applique. Inacceptable pour les salariés.

«Notre riposte doit être à la mesure de cette déclaration de guerre», indique-t-on chez FO. Demain, FO, la CFDT, la CGT, le SNB-CGC, unis pour l'occasion, discuteront des modalités d'une grève envisagée pour le 27 février. Les 400 000 salariés peu ou prou concernés par la convention en décideront.

NATHALIE RAULIN


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