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L'Humanité quotidien

20 Décembre 1999 - POLITIQUE

Décryptage. Le passage de la durée hebdomadaire du travail de 39 à 35 heures et la croissance réveillent les revendications des Français.

La France redécouvre le conflit

Signe des temps. · douze jours du passage officiel de la durée légale du temps de travail de 39 à 35 heures, les conflits redoublent de vigueur en France, sous le regard bienveillant des organisations syndicales. Après le vote définitif du projet de loi Aubry par les parlementaires, mercredi dernier, ces dernières auraient pu redouter que - fatalisme oblige - certaines revendications ne se taisent un brin. De fait, il n'en est rien. De la FNAC au BHV, de France Télécom à La Poste, en passant par les hôpitaux, le climat social se rejoue un air de tension. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, ne s'y trompe pas. Il n'a pas hésité jeudi dernier à juger ces conflits non seulement " inévitables ", mais " souhaitables ". Petite revue de ces secteurs où le dialogue social s'envenime.

France Télécom. Dur de dialoguer au royaume de la communication. Depuis plus d'un an, les négociations sur les 35 heures chez l'opérateur public sont quasiment au point mort. Après avoir observé à nouveau une journée de grève, mardi dernier, les 143000 salariés de la maison mère attendent désormais de nouvelles propositions de la part de la direction, qui doit rencontrer aujourd'hui l'ensemble des syndicats au cours d'une troisième réunion multilatérale. Jusqu'ici, les négociations bloquent sur la question de l'emploi. La direction propose d'augmenter de 1000 les recrutements prévus initialement pour la période 2000-2001. Seulement, dans le même temps, quelque 18000 emplois vont être supprimés entre 1999 et 2002. Au final, la réduction du temps de travail pourrait donc se traduire par la perte sèche de près de 10000 emplois. Et ce, soulignent les syndicats, " alors que France Télécom a enregistré 15 milliards de bénéfices en 1998 et 9 milliards de bénéfices sur les six premiers mois de l'année 1999. "

La Poste. Symbole de l'absence de dialogue social, La Poste (300000 salariés) vit depuis fin septembre au rythme des arrêts de travail. Alors que l'accord-cadre sur les 35 heures a été signé en février dernier entre la direction et quatre syndicats minoritaires (CFDT, CFTC, CFE-CGC et FO), les négociations délocalisées dans les 17000 centres prennent désormais des allures de chemin de croix. Plus de 200 préavis de grève ont été recensés mi-novembre par la CGT ! Et certains bureaux, comme à Bordeaux, ont stoppé le travail pendant plus d'un mois. Au cour du conflit : le nombre insuffisant d'embauches. Le texte national prévoit 20000 embauches sur deux ans pour 20000 départs, stabilisant ainsi les effectifs pour la première fois depuis plusieurs années. Une perspective que relativisent SUD-PTT et la CGT, majoritaires : " Seules 6000 de ces embauches seront sous statut fonctionnaire, relève cette dernière. Il restera donc 14000 précaires. "

Commerce. · la FNAC, la menace d'une grève le samedi 18 décembre, réputé le plus gros jour de l'année, dans les 49 magasins de province (FNAC Relais) aura suffi à faire céder la direction. L'intersyndicale CGT, FO, SUD, CFDT et CFTC a notamment obtenu le maintien, lors du passage aux 35 heures, des salaires et des embauches de salariés à durée indéterminée. Les salariés de ces magasins, qui ne bénéficient pas du même statut que ceux des FNAC parisiennes, travailleront désormais 33 h 45, payées sur la base de 40, et continueront de bénéficier du quart d'heure de pause. Avant eux, les salariés des dépôts, encore sous un autre statut, avaient bloqué les livraisons pour protester contre une réduction du temps de travail synonyme de baisse de salaire.

· l'inverse, la grogne enfle au BHV. Toutes les organisations syndicales avaient appelé vendredi à une journée de grève dans les magasins de la région parisienne et, samedi, dans ceux de province. Le mouvement a été largement suivi. Plus généralement, les grands magasins, comme aux Galeries Lafayette, et les magasins populaires (Monoprix, Franprix...) encaissent mal les velléités d'un patronat qui a dénoncé, en juin dernier, la convention collective de la branche, et cherche depuis à imposer une annualisation drastique. D'autres journées d'action sont d'ores et déjà prévues au mois de janvier, pendant les soldes, contre les ouvertures tardives et dominicales.

Banque. Même cas de figure dans ce secteur, où le patronat a dénoncé la convention collective à l'occasion des négociations sur les 35 heures. Au programme désormais : réduction de 38 jours du congé maternité, non-maintien des salaires et absence d'embauches. · titre d'exemple, dans cette branche, qui regroupe 200000 salariés pas franchement habitués à prendre la rue pour un oui ou un non, la Société générale et la BNP perdent en moyenne 2 % d'emplois par an. Les directions, elles, prévoient le calcul de la durée du travail sur l'année, en intégrant les jours fériés, les jours de congés conventionnels et même les jours de fractionnement liés aux congés annuels ! Pour la CFDT Banques, premier syndicat du secteur, " l'effet cumulé de l'accord de branche et du meilleur accord d'entreprise imaginable ne produirait au mieux qu'une réduction du temps de travail de 5 %. Avec l'utilisation des heures supplémentaires, un calcul sur l'année et un paiement sur la base due aux horaires actuels, les salariés ne verraient aucune modification à leurs horaires ".

Après avoir défilé à 30000, le 30 novembre, quelque 500 salariés ont remis ça vendredi, devant le siège de l'AFB (patronat), où les cinq fédérations syndicales et le patronat ne sont pas parvenus à un accord sur la nouvelle convention collective. Les syndicats ont publié un communiqué commun contre " un texte qui, objectivement, consacre un recul important ". Les syndicats vont consulter leurs adhérents avant de se réunir mercredi pour décider de la suite de la mobilisation.

Fonction publique. C'est LE chantier de cette nouvelle année pour les 35 heures. Alors que les 14,5 millions de salariés du privé seront officiellement à 35 heures à compter du 1er janvier 2.000, les 4,3 millions de fonctionnaires assistent toujours, eux, aux premiers balbutiements de négociations. Après avoir reçu les sept fédérations syndicales (CFDT, CGT, FO, UNSA, FSU, CFTC et CFE-CGC) depuis fin septembre, Emile Zuccarelli, ministre de la Fonction publique, poursuit ses discussions avec, par ailleurs, la Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP). Le but est d'arriver, avant la fin janvier, à un accord-cadre qui fixerait les objectifs et les règles générales. Compte tenu de la disparité des statuts et des horaires entre, par exemple, les fonctionnaires de l'Etat (entre 35 et 37 heures) et ceux des hôpitaux (au-dessus de 40 heures), le pari est ambitieux. L'objectif d'Emile Zuccarelli demeure néanmoins un accord " inter-fonctions publiques ".

Hôpitaux. Sans être encore directement concernés par les 35 heures, les hôpitaux tirent déjà la sonnette d'alarme sur la question de l'emploi. Notamment à Paris. Vendredi dernier, alors que le conseil d'administration de l'Assistance publique (AP), qui gère les établissements de la capitale, rejetait le budget 2000, près de 4000 agents hospitaliers étaient rassemblés devant le siège de l'AP, avec des banderoles réclamant " des effectifs pour la sécurité des malades " et affirmant : " · l'hôpital, c'est la galère ; à l'extérieur, c'est la misère. Embauchez des chômeurs ", ou encore : " Embauchez les CDD ".

Cette année, le budget des hôpitaux de l'Assistance publique est en progression de 1,8 %. " Insuffisant pour faire face aux besoins ", jugent les personnels en grève. Après plusieurs années successives d'austérité, les salariés, obligés souvent d'effectuer des heures supplémentaires, redoutent qu'on leur impose la mobilité. Le manque de moyens financiers pousse surtout les hôpitaux à fermer des services entiers pour cause de dépassement du budget. Le mouvement de colère touche également la province, où une quarantaine d'établissements observent régulièrement des arrêts de travail. · Marseille, tous les hôpitaux se sont mis en grève jeudi dernier, comme à Montpellier, au Puy (Haute-Loire), au Mans, Béziers, Quimper, Caen... · Paris, une nouvelle manifestation est programmée demain. Pour demander des emplois supplémentaires, bien sûr !

Catherine Lafon et

Laurent Mouloud


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